SPORT365.FR, 27.03.2009

Alain Prost: « Massa devant Button »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Avant le premier Grand Prix de la saison, dimanche à Melbourne, Alain Prost pronostique un podium inattendu Massa-Button-Alonso. Selon le quadruple champion du monde, le nouveaux règlements et la crise, qui touche aussi la F1, pourraient avoir redistribué les cartes.

Alain Prost, la F1 a connu une intersaison très agitée. Le dernier rebondissement, c’est la volte-face de la FIA qui a retiré son projet d'attribution du titre mondial des pilotes au nombre de victoires. Est-ce que vous étiez favorable à ce système?
Moi, je n’étais pas spécialement pour, même si avec ce système j’aurais eu deux titres de champion du monde en plus à l'époque où j'étais pilote. Je suis pour les systèmes relativement simples, et plus en accord avec l’Association des constructeurs (FOTA) qui demandait un peu plus de points pour le premier afin de privilégier la victoire. Mais surtout, je suis pour qu’il y ait une lisibilité beaucoup plus facile pendant toute la saison, pas uniquement pour les fans mais aussi pour les personnes qui ne suivent pas toujours régulièrement la F1, pour qui ça aurait un peu complexe. Ceci dit, j’aurais été positif dans la mesure où cela amène quelque chose de nouveau. Aujourd’hui, il vaut mieux être positif derrière la F1 que de critiquer sans trop de raisons.

Que pensez-vous de l'ambiance agitée qui règne dans les paddocks (après le retrait de Honda, les interrogations des écuries, la crise financière, une menace de boycott avant le premier Grand Prix...) à l'aube de cette nouvelle saison?
C’est une ambiance très difficile. Mais elle reflète ce qui se passe dans le monde aujourd’hui et la Formule 1 n’y échappe pas. C’est-à-dire qu’il y a la crise. Il y a aussi une renégociation de ce que l’on appelle les Accords Concorde, c’est-à-dire un contrat qui est passé entre la Fédération internationale et les constructeurs, les équipes. Ce contrat aurait déjà du être renégocié depuis un an. Et il y a certaines difficultés par rapport à ça. C’est ce qui fait qu’ils ne sont pas d’accord sur la distribution des revenus. Il y a bien un modèle économique, certainement différent, à trouver dans le futur très proche, parce que l’économie est très différente depuis quelques années. C’est normal qu’il y ait un peu de tension, mais il ne faudrait pas arriver jusqu’au boycot car la Formule 1 n’a pas vraiment besoin de ça.

D'un point de vue sportif, il y a aussi pas mal de changements, au niveau, notamment, de l’aérodynamique, des ailerons, du retour des pneus slicks, des changements au niveau du règlement... Que pensez-vous de ces changements? Est-ce une bonne chose pour la F1? Est-ce que ça va vraiment changer la hiérarchie ou pas?
Ces changements sont plutôt bons. Ils ont aussi le mérite de redistribuer complètement les cartes. C’est vrai que les pneus slicks, au lieu des pneus striés, et beaucoup moins d’aéro globale sur la voiture, ça change fondamentalement. Il y a aussi l’interprétation du nouveau règlement que les écuries peuvent avoir. C’est toujours comme ça. Il y en a toujours qui interprète un petit peu mieux. On l’a vu avec trois équipes, c’est-à-dire Toyota, Brawn et Williams, qui ont interprété de manière différente le règlement du diffuseur à l’arrière des monoplaces et qui donne certainement un petit avantage. Donc, ça peut redistribuer beaucoup les cartes. En plus, il y a le système de récupération d’énergie, le KERS, qui est utilisé par la grande majorité des équipe. Sauf certaines comme Brawn qui ne l’a pas. Il y a un avantage au niveau du poids, des avantages au niveau de la puissance puisque l’on peut retransformer cette énergie en puissance. Mais cela peut aussi poser des problèmes de fiabilité. On l’a vu sur pas mal d’équipes, tel que Ferrari. Un autre élément vient s’ajouter à tout cela, c’est l’annulation des essais privés pendant l’année, après le premier Grand Prix. Ce qui fait qu’une équipe qui va être moins bien, même une équipe forte, et là je pense à McLaren qui est une équipe très forte qui a toujours bien négocier les virages de changements de règlement mais qui semble un peu moins bien cette année. A moins qu’ils ne cachent leur jeu... Ça a l’air un peu compliqué. Sans essais privés, c’est-à-dire sans avoir le moyen d’essayer de nouvelles pièces, des nouvelles technologies éventuellement sur la voiture, est-ce que l’on peut récupérer son retard si on n’est pas au plus haut niveau dès les premiers Grands Prix. Ça c’est un grand point d’interrogation.

Va-t-on tout de même retrouver Ferrari et McLaren devant, ou est-ce que vous pensez que cette redistribution pourrait faire que BMW ou Renault, par exemple, soient encore plus haut dans la hiérarchie?
En temps normal, les grandes équipes, et là on pense souvent à Ferrari et McLaren, ont toujours un avantage quand il s’agit de gérer les nouveaux règlements. Ils ont les moyens, aussi bien financiers qu’humains pour être au top pendant une saison et pour déjà préparer l’avenir. Là, il s’agit de règlements très très spécifiques et qui n’ont pas été, je dirais, élaborés de la même manière pour tout le monde. Je pense à l’effet aérodynamique et l’effet KERS, dont on a déjà parlé, et qui font qu’il y a des systèmes très différents qui sont souvent élaborés par les constructeurs eux-mêmes et non pas par les équipes d’ingénieurs typiques Formule 1. On peut avoir des écarts très importants. Et puis, il y a cet aspect fiabilité par rapport à ce système-là. Donc, aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’une équipe a mieux géré les choses tant qu'on ne l’a pas vu sur la piste, en configuration de piste et, surtout, sur trois cents kilomètres.

Du point de vue des pilotes, c’est le même constat…
Voilà. Pour avoir parlé avec pas mal de pilotes de pointe, tout le monde avait l’air de dire que c’était différent à conduire, que c’était un peu surprenant au début, mais que ça n’allait pas changer fondamentalement la manière de conduire et l’approche de la conduite en général. Ce qui fera la différence, souvent, c’est la performance des voitures. Et on a vu quand même quelques surprises pendant cet hiver.

Est-ce que vous avez un favori pour la saison?
Un favori, sur l’ensemble de la saison, je dirais peut-être plus un pilote Ferrari. Je mettrais Massa et Räikkönenà égalité... (il hésite) Peut-être même un petit avantage pour Massa. Hamilton, bien sûr, mais on a un doute sur la performance de la voiture. Et peut-être Alonso, qui, dans une saison comme celle-ci, peut tirer son épingle du jeu, dans la mesure où c’est quelqu’un qui est toujours là. La Renault ne sera peut-être pas la meilleure voiture mais peut-être qu’elle sera la plus régulière. Il y aura certainement des outsiders, on pense à Toyota. Mais est-ce qu’ils peuvent être champions du monde sans jamais avoir gagné une course avant cette saison? Cela paraît compliqué car il faut tout de même s’habituer à pouvoir gagner des titres, aussi bien pour les équipes que pour les pilotes. Brawn a très peu de moyens et a certainement la voiture la plus performante de cet hiver. Est-ce qu’elle était réellement 100% conforme? Est-ce qu’il va y avoir des problèmes de réglementation? Est-ce qu’il va y avoir un appel sur leur manière d’utiliser leur diffusion arrière? Il y a, quand même, pas mal de points d’interrogation. Je mettrai, malgré tout, les grandes équipes devant, même si le début de saison, notamment à Melbourne, risque de nous donner quelques surprises.

Plus spécifiquement, comment jugez-vous l’intersaison de Renault? Est-ce qu’ils peuvent être aux avant-postes cette saison?
Renault a toujours été régulier lors des essais hivernaux. Quand Alonso était en piste, ils ont souvent été là, en haut de l’affiche. Quand c’était Piquet, ils étaient plutôt derrière. On a eu un peu peur à un moment car on pensait qu’il n’avait pas bien gérer le règlement. Mais ils ont toujours été réguliers. Alonso étant combatif, sur une saison et sur un début de saison un peu compliqué, il risque d’être là. C’est une année très très importante pour Renault, pour ne pas dire cruciale pour leur avenir en F1.

Après l’écurie française, le pilote français, Sébastien Bourdais. Il a eu une intersaison très agitée lui aussi. Il a su il y a seulement quelques jours qu’il allait de nouveau piloter cette année pour Toro Rosso. Dans quel état d’esprit peut-il commencer cette saison? Est-ce qu’il peut faire mieux cette année?
Je pense qu’il peut faire mieux. Maintenant, est-ce que la voiture sera aussi bonne que la saison dernière...? Il ne faut pas oublier que la voiture était assez exceptionnelle l’année dernière. Comme c’est une équipe qui ne construit pas sa voiture - elle est construite par l’équipe Red Bull, qui est l’équipe-mère - le doute subsiste. Donc, on a un peu de mal à savoir. C’est l’un des pilotes qui a fait le moins de kilomètres d’essais pendant l’hiver. Il a fait à peu près six cents kilomètres alors que les autres en ont fait plus de cinq mille. Il arrive donc un peu frais. Il devient le pilote d’expérience dans son équipe puisque l’autre pilote, Sébastien Buemi, vient du GP2, donc il a un petit avantage. Si la voiture est très bien, il s’en sortira très bien. Je pense que c’est une grande chance pour lui de pouvoir faire une deuxième saison sans Sébastien Vettel qui était un peu une référence et qui lui a posé quand même quelques problème l’an passé.

Pour le premier Gand Prix de la saison, en Australie, est-ce que vous pouvez vous jeter à l’eau en nous donnant un podium?
Je vais vous donner un podium, sans y croire complètement. Je vais quand même mettre Massa en tête, Button et Alonso. Peut-être que c’est un podium complètement surréaliste parce qu’en fin de compte, pas beaucoup de monde peut aujourd’hui juger de ce que peuvent être les performances des voitures sur un Grand Prix.



Back to interview-page!

Alain Prost-Infopage

prostfan.com

prostfan.com © by Oskar Schuler, Switzerland