Interview: Eric CAMACHO

A l’approche du Grand Prix de Turquie et comme avant chaque course, Alain Prost nous livre son analyse. Le quadruple champion du monde évoque la lutte interne exacerbée entre Hamilton et Alonso et l’attitude de Ron Dennis.

Le GP de Hongrie a été très agité chez McLaren. Comment réagissez-vous à cette situation conflictuelle entre Alonso et Hamilton?
C’est une situation assez incroyable car nous avons, malgré tout, un championnat très indécis. Nous avons une lutte exacerbée entre les deux pilotes McLaren mais aussi les deux pilotes Ferrari. Une lutte sur le plan sportif mais aussi extra-sportif avec toutes ces histoires d’espionnage qui gravitent dans le paddock et les médias. Malgré tout cela, on ne parle quasiment que de la lutte Alonso – Hamilton. C’est assez paradoxal mais cette lutte va très certainement influencer la fin du championnat. Et peut-être à l’avantage de Ferrari. McLaren doit vraiment se méfier.

Hamilton n’a-t-il pas joué la carte personnelle au détriment de l’équipe en dénonçant l’attitude de son coéquipier en qualifications, et fait indirectement le jeu de l’adversité?
Il pourrait faire le jeu de l’adversité parce que Raïkkonen a été malchanceux au Grand Prix d’Allemagne. S’il avait obtenu la victoire ou les huit points de la deuxième place, il serait lui aussi très bien placé au championnat. C’est l’homme en forme même si la Ferrari est moins bien que la McLaren, en tout cas sur certains circuits. Hamilton a donc joué un jeu dangereux pour deux raisons. D’abord parce qu’il s’est mis certains membres de l’équipe à dos. Il a aussi trahi la confiance de Ron Dennis qui a investi sur lui dans les dix dernières années, ce qui n’est pas rien. C’est un peu une surprise pour celui que l’on présentait comme l’enfant modèle, motivé et prêt à tout pour son équipe. En étant un peu dur, je dirais que la grosse tête est venue plus vite que ce qu’on avait pensé. Il faudra stabiliser les choses très vite.

Vous qui connaissez Ron Dennis, comment va-t-il gérer cette situation?
Je pense qu’il ne la gérera pas très bien. Je pense aussi qu’il ne l’a pas bien gérée depuis le début. Ron est quelqu’un d’extrêmement compétent, méticuleux, professionnel. C’est certainement le meilleur directeur d’équipe de Formule 1. Par contre, il croit savoir gérer l’humain mais ce n’est pas son fort. C’est quelqu’un qui n’est pas très diplomatique ou charismatique. Et là, il a fait une petite erreur dès le départ. Il n’a pas défini un pilote numéro un et un pilote numéro deux. Hamilton s’est révélé plus rapide que prévu et, maintenant, Ron a du mal à gérer cette situation. Même à l’époque de notre lutte avec Ayrton Senna, il avait du mal à gérer cela. Une fois que c’est parti dans les médias et dans l’entourage de chaque pilote, cela devient très difficile à arrêter pour un seul homme.

N’est-il finalement pas trop tard pour désigner un numéro 1 et un n°2?
La seule chose que l’on ne connaît pas, c’est la teneur des contrats. Est-ce qu’il peut vraiment le faire ou pas? S’il ne peut pas le faire, cela veut dire que l’erreur a été commise au départ et que cela risque de dégénérer. L’un des deux pilotes sera peut-être amené à partir, ce qui serait très dommage car McLaren possède sans doute les deux meilleurs pilotes - avec Raïkkonen - du plateau aujourd’hui.

En quoi ce conflit est-il comparable avec celui que vous avez vécu chez McLaren avec Ayrton Senna?
Il est comparable dans le fait que ce sont deux pilotes qui se battent pour le titre dans la même équipe. Je pense tout de même que la lutte est différente. La génération et l’époque font que c’est difficilement comparable à tous points de vue. Elle n’est pas comparable dans le sens où Ayrton, quand il est arrivé chez McLaren, était déjà un pilote confirmé. Hamilton vient lui du GP2. La grande différence est médiatique. Les courses n’étant pas très intéressantes cette année, les médias voient dans cette lutte la nostalgie qu’ils ont des années de la guerre Prost – Senna.

Alonso et Hamilton peuvent-ils encore cohabiter la saison prochaine?
Encore une fois, cela dépend des contrats mais cela dépend surtout d’eux. Personnellement, aujourd’hui, je ne les vois pas rester dans la même équipe. Ce serait à leur détriment et au détriment de l’équipe. Maintenant cela peut évoluer. Si la fin de saison se passe bien, il faut qu’il y en ait un qui soit champion du monde. Car si McLaren ne remporte pas le titre pilote, ce sera une vraie catastrophe et cela ne pourra pas rester en l’état.

Comprenez-vous la décision de la FIA de sanctionner Alonso et McLaren pour une affaire finalement interne à cette équipe?
La FIA a accès à tous les enregistrements radio. Si la manœuvre d’Alonso est délibérée pour bloquer Hamilton dans les stands, c’est une manœuvre anti-sportive qui peut être réprimandée par la FIA. Je peux tout à fait le comprendre bien que ce soit limite. Sanctionner l’équipe et l’empêcher de marquer des points par rapport à un événement qui est dû à un seul pilote, je trouve cela très dur pour ne pas dire incompréhensible. Dans ces cas-là, la FIA veut toujours montrer qu’elle a le pouvoir, qu’elle a la force. Et elle ne le montre pas toujours à bon escient.

Le Grand Prix de Turquie peut-il relancer Ferrari qui avait fait 1 et 3 la saison dernière?
La McLaren, depuis le début de l’année, est plutôt bien partout. La Ferrari a des problèmes sur les circuits sinueux. C’est peut-être dû à un empattement qui est plus long. La Ferrari a ainsi du mal à faire marcher les pneus avant et les pneus très tendres. Sur des circuits plus rapides, avec de grandes courbes, comme en Turquie, elle devrait être de nouveau plus rapide. On devrait donc avoir une lutte très serrée entre les deux,  toujours arbitrée par la BMW qui, malgré tout, ne lâche rien.

Votre pronostic pour ce Grand Prix?
Je mettrais tout de même Raïkkonen devant. Je crois que la Ferrari doit et peut être devant à la régulière. Après, entre Hamilton et Alonso, je ne sais pas. Nous aurons peut-être un doublé Ferrari sur ce genre de circuit si la météo le permet.

Propos recueillis par Eric CAMACHO.