SPORT365.FR, 15.06.2007

Alain Prost : « La situation d’Alonso est complexe »



Interview: Jean-Moise DUBOURG

Comme avant chaque Grand Prix, Alain Prost nous livre son analyse avant le rendez-vous des Etats-Unis. Après le succès d’Hamilton au Canada, le quadruple champion du monde juge la situation d’Alonso compliquée.

Lewis Hamilton a encore étonné dimanche en gagnant sa première course. Est-ce qu’il continue à vous bluffer ?
Sur ce Grand Prix là, on peut dire qu’il a eu une course relativement facile. Maintenant, ça fait six Grands Prix, six fois qu’il monte sur le podium. On a vu que sur tous types de circuit, il était performant. Au Canada, il a eu les nerfs, il a été solide. A chaque fois, derrière le safety-car, il a fait ce qu’il fallait. Il a été un tout petit peu aidé par les circonstances de course du fait que certains de ses adversaires ont été décalés dans leur stratégie d’arrêt au stand en raison des interventions du safety car. Mais c’est la marque des grands champions. En plus, il a gagné sa première course plus tôt que prévu. Il est en tête du championnat en étant bien dans sa tête. Il va falloir gérer tout ça et il y a d’autres petits problèmes qui pointent  à l’horizon. Donc ça ne va pas être simple.

Alonso a réagi mardi en déclarant que son écurie favorisait plutôt Hamilton. Qu’est ce que vous pensez de cette polémique ?
La polémique était déjà venue en interne après Bahreïn. Alonso s’était déjà plaint qu’il devait normalement être considéré comme le pilote n°1 et qu’il ne sentait pas ce statut. Psychologiquement, ce n’est certainement pas simple pour lui. Souvent, il y a des chocs de générations dans les écuries. Quand Niki Lauda était là, moi je suis arrivé ; après il y a eu Senna alors que j’étais en place… Là il s’agit de deux pilotes qui ont trois ans d’écart. Bien entendu, il y en a un qui est deux fois champion du monde. Mais Alonso pensait arriver dans une famille. Il avait tellement envie d’aller chez McLaren et là, il se retrouve équipier de quelqu’un de plus jeune et de très performant. Anglais qui plus est, donc la presse anglaise le soutient à 1000 %. Il se trouve dans une position un peu difficile. Il ne se retrouve pas dans la famille dans laquelle il espérait être. Il y a également un aspect technique. Quand vous regardez Hamilton et Alonso conduire, vous avez vraiment deux styles de pilotage différents. La Renault était vraiment adapté au style de pilotage de l’Espagnol. C’est souvent des grands coups de volant à l’entrée de virage, ça peut marcher sur certains circuits. Mais quand il y a des chicanes comme ça, ce n’est pas l’idéal et on l’a vu souvent partir à la faute. Il ne s’est pas bien adapté à la voiture. De là à ce qu’il y ait un favoritisme pour Hamilton, je ne le pense pas. Moi je l’ai un peu vécu, c’est beaucoup plus de la psychologie. Aujourd’hui, une équipe peut privilégier un pilote par rapport aux stratégies de course. Mais c’est vrai qu’une voiture peut convenir un petit mieux à un style de pilotage qu’à un autre et ç’a l’air d’être le cas aujourd’hui chez McLaren.

On a l’impression qu’Alonso perd son calme ?
La situation d’Alonso est très complexe parce que c’est vrai qu’il perd son calme. Il n’a jamais connu cette situation depuis qu’il est en F1. Il a toujours eu une position de n°1 extrêmement forte, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui : il est confronté à un pilote qui n’a aucune expérience de la F1 mais qui est Anglais, donc qui aura toujours le monde anglo-saxon derrière lui. Et il ne faut pas oublier qu’Alonso est considéré dans le milieu comme quelqu’un qui a pris un peu la grosse tête et qui est un peu compliqué. Donc il paye automatiquement aujourd’hui ce qu’il a semé ces dernières années. Les médias dans son ensemble, et les Anglo-Saxons en particulier, ne sont pas très tendres. Donc c’est une situation très compliquée.

Après l’énorme crash de Kubica à Montréal, c’est rassurant de voir la sécurité en F1 de plus en plus performante avant le Grand Prix des Etats-Unis où la vitesse est maximale.
Ce qui peut arriver de pire pour un pilote, c’est soit l’incident mécanique, la rupture de suspension ou de direction, soit toucher une autre voiture et décoller. Là, la voiture est absolument incontrôlable. Kubica a eu beaucoup de chance, comme les commissaires en bord de piste ou encore le public. Il a touché le mur avec un angle qui est encore assez important pour ne pas décélérer brutalement. Après, c’est très impressionnant, il perd les suspensions, les roues. Mais c’est de la perdition d’énergie utile pour ne pas avoir un choc et un ralentissement trop brutal. Je trouve qu’il s’en sort très bien surtout sur le premier impact qui est violent. A titre personnel, j’ai toujours critiqué ces dernières années l’évolution des règlements techniques et sportifs de la F1. S’il y a une chose que je ne critiquerai jamais, c’est tout le travail qui a été fait par la Fédération internationale pour imposer ces crash-tests, pour imposer cette sécurité passive surtout au niveau ce qu’on appelle la « cellule de survie » qu’on a bien vu dimanche. Il ne reste rien mais la coque autour du pilote ne bouge pas et ça, c’est quand même assez impressionnant.

Votre pronostic pour le Grand Prix des Etats-Unis ?
Lors des deux ou trois dernières courses, on pensait quand même que Ferrari allait être un peu mieux. Entre Alonso et Hamilton, on ne peut pas faire de pronostics parce que ça se joue au dixième de seconde en qualifications et en course. C’est plus l’opportunité ou les circonstances qui vont faire la différence. Moi je vois bien un retour de Ferrari à Indianapolis. Je l’espère pour la suite du championnat. Même si la lutte unique Hamilton - Alonso pourra être fabuleuse, j’aimerai bien voir les Ferrari revenir. Donc je vais mettre une Ferrari devant. Laquelle ? Je ne sais pas car même en disant ça, je ne suis pas sûr moi-même qu’ils puissent revenir à hauteur des McLaren dès dimanche.



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