Interview: Jean-Moise DUBOURG

S’il reconnaît que Lewis Hamilton, au regard de ce qu’il réalise depuis son arrivée en F1 l’an dernier, mérite amplement son titre mondial, Alain Prost estime que Massa "a accompli une saison un peu plus pleine." Le bilan du "Professeur".

Alain Prost, on a vécu un final absolument incroyable au Brésil. Aviez-vous déjà vécu un tel dénouement à suspense?
Jusqu’au dernier virage comme cela est arrivé au Brésil, non. Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’un Championnat se joue comme ça sur la dernière, il se passe très souvent des trucs assez étonnants. Mais vivre deux années de suite un tel scénario - qui a failli se répéter d’ailleurs, à quelques centaines de mètres près - c’est assez incroyable. Le final a été un peu bizarre parce que Glock était au ralenti et on ne s’attendait pas à ça. C’était d’ailleurs assez émouvant de voir la liesse chez Ferrari puis la détresse. Ce fut sans doute assez dur à vivre pour eux.

En tant qu’ancien pilote, comment avez-vous vécu ce final si prenant?
C’était exceptionnel parce que c’est le suspense qui rend ça exceptionnel. En tant qu’ancien pilote, on se met à la place des deux protagonistes. A la place de Massa, on se dit qu’on a fait tout ce qu’il fallait mais que maintenant, on ne contrôle plus rien. Il fallait gagner, on gagne mais on est tributaire de la position de l’adversaire. Quand on se place dans le baquet d’Hamilton, on se demande comment faire, comment contrôler la course. Attaquer? Assurer? Mais les derniers tours qu’il a connus, ça a du être assez incroyable à vivre. Il faut souligner que sans le problème de Glock, il aurait perdu pour la deuxième fois de suite le Championnat lors du dernier Grand Prix et ça aurait été assez dur. J’ai un peu vécu ça dans mes premières années quand j’ai raté le Championnat de deux points ou un demi-point. On peut en ressortir plus fort mais ce n’est pas facile à gérer.

Que pensez-vous des critiques émises par certains sur la fin de course de Glock?
Il est tout à fait logique que des questions se posent. Il y a eu un semblant d’entente en 1997 entre McLaren et Williams contre Ferrari à Jerez lors du titre de Jacques Villeneuve; un doute subsiste. Mais en trente ans de F1, je n’ai jamais vu ce genre de choses. Donc il ne faut pas non plus exagérer. Mais c’est vrai qu’on peut se poser des questions puisque Glock a tout de même perdu une quinzaine de secondes sur un tour. Mais pourquoi aurait-il eu intérêt à favoriser McLaren et Hamilton contre Ferrari? D’autant que les pilotes ne sont pas spécialement pour Hamilton… Mais c’est vrai que c’est quand même assez bizarre. C’est la seule chose qui est venue un peu entacher ce titre.

Quoi qu’il en soit, Lewis Hamilton est devenu champion du monde. Est-ce un beau champion du monde?
Avant la course, quand on me posait la question, j’estimais que les deux (Hamilton et Massa) méritaient le titre. Par rapport aux deux dernières saisons, on peut tout de même dire qu’Hamilton a été exceptionnel, surtout l’année dernière. Mais je suis un peu triste pour Massa parce qu’il a fait une super saison. Il a assuré. Hamilton était pilote n°1 chez McLaren. Massa, lui, était sur un pied d’égalité avec son coéquipier champion du monde en titre (Räikkönen). Or, il l’a régulièrement dominé et il n’a pas fait de faute. N’oublions pas qu’à Budapest, à trois tours de la fin, il casse le moteur; et à Singapour il y a ce problème de ravitaillement en essence alors qu’il était en tête. On pourra dire qu’Hamilton a été déclassé à Spa mais dans ce cas on parle de quatre ou cinq points. A mon avis, Massa a accompli une saison un peu plus pleine. Mais on ne va pas chipoter, on va les mettre tous les deux à égalité. Ils ont réalisé une saison merveilleuse, c’était très beau et voilà. Il fallait un champion.

Va-t-on assister au règne de Lewis Hamilton dans les prochaines années?
Hamilton a vraiment des qualités d’attaquant exceptionnelles mais il n’est pas toujours très bon sous pression. Donc ça dépend vraiment du niveau de compétitivité de sa voiture. Cette année, je pense qu’il aurait pu être champion du monde un peu plus tôt. A l’avenir, je ne sais pas s’il pourra vraiment, à armes égales, face à un Alonso au volant d’une bonne voiture ou à un Räikkönen motivé, dominer de la tête et des épaules. Mais il peut encore gagner des Championnats, oui.