LE FIGARO, 31.01.2002

ALAIN PROST:
"Je suis triste et totalement révolté"


Propos recueillis par Cédric Voisard
Envoyé par Fabien - Merci!


Hier, comme depuis lundi, les employés de Prost Grand Prix se trouvaient tous à l'usine. Désoeuvrés, abattus, mais bel et bien présents. Alors qu'a déjà débuté le démontage de certaines machines. Alain Prost participe avec les représentants du personnel et de l'administration aux principales mesures liées à la liquidation judiciaire de l'entreprise. Le problème de l'emploi est évidemment au coeur de leurs préoccupations. Dans ce climat difficile, le quadruple champion du monde a accepté de nous recevoir avec le souhait de rétablir certaines vérités.

Quelles sont vos priorités depuis lundi et la mise en liquidation judiciaire de votre écurie?
Je suis présent à l'usine. Il faut, outre les procédures légales de la liquidation, s'occuper avant toute chose des employés et des perspectives de reclassement. Une cellule représentant le personnel a été mis en place pour faire au mieux, en collaboration avec l'administrateur et le liquidateur. C'est très important.

Quels sont vos sentiments?
Nous sommes allés aussi loin que possible. Après il y a l'aspect médiatique. Je suis outré par limage donnée de l'entreprise au regard de ce qu'elle est réellement, et totalement révolté par le procès d'intention qui m'est fait. Brisons la glace il est pour moi hors de question d'affirmer que je n'ai pas commis la moindre faute. Mais en vingt ans de F1, j'ai vu Ron Dennis, Frank Williams ou Jean Todt vivre également des moments très difficiles. Ce métier consiste avant tout à ne pas commettre d'erreurs. Et l'on ne m'aura rien pardonné. Le grand public l'a compris. Il est peut-être moins stupide que vous ne le pensez, vous les médias. Justement, je n'avais pas 100 millions de francs de budget publicitaire à donner aux médias, dès lors je n'y avais aucun pouvoir. Et, dans ces cas là, Ferrari l'a vécu pendant plusieurs années, il est extrêmement difficile de résister à la pression médiatique.

Le petit monde du sport automobile français n'a pas été non plus très tendre avec vous...
Je considérais certaines personnes comme des amis... Soit ils ont vécu leur heure de gloire on me tapant dessus, soit ils avaient un intérêt quelconque à le faire. Franchement, pilotes frustrés et jaloux, ils n'ont aucune crédibilité. Pescarolo a dirigé la Filière avec l'argent de Elf mais quels ont été ses résultats? Quant à Alliot, qu'a-t-il fait dans sa vie pour donner aujourd'hui des leçons... J'observais déjà en tant que pilote le sport automobile français, et voyez dans quel état il est actuellement. C'est bien pour cela que je savais dès le départ que ce serait difficile de monter cette équipe en France, et qu'il nous faudrait toutes les synergies possibles. Cela n'a pas été possible.

Le point clé de l'échec de Prost Grand Prix n'est-il pas celui du partenariat totalement raté avec Peugeot...
C'est évident. Mais je dois rétablir certaines vérités. Ce défi m'a été proposé par Guy Drut, ministre des sports, alors qu'à l'époque je n'y pensais plus. J'étais bien chez Mercedes, avec quelques belles perspectives. Mais, vu que je n'avais jamais été insensible au sujet, j'ai accepté d'étudier la chose. J'ai clairement dit il faut un plan de cinq ans avec un grand motoriste et 500 millions de francs de budget minimum par saison. Peugeot, qui était sur le point de quitter la Fl, s'est montré intéressé. Mais durant nos six mois de tractations il a toujours été question que le moteur nous soit facturé 50 millions de francs par saison. J'ai réussi, à deux jours de notre conférence de presse officielle commune, alors que rien n'était signé, à ne plus payer le V10 que 25 millions de francs, seulement l'accord fut ramené à trois ans. Primo, Prost Grand Prix a payé son moteur la première année avant que nous puissions trouver un autre accord. Secondo, je me suis retrouvé embarqué sur une communication d'objectifs délirante, à savoir l'idée de l'écurie française et le titre mondial en trois ans. Nous venions à peine d'annoncer au siège de Peugeot la naissance du projet que déjà il m'apparaissait autrement plus difficile à mener que ce que j'avais prévu.

Pourquoi ne pas avoir renoncé?
J'ai hésité. Nous avions beaucoup travaillé, je me suis dit qu'un constructeur comme Peugeot, au pied du mur, allait comprendre à quel point ses concurrents engageaient des dépenses autrement plus importantes pour réussir. Et puis la synergie semblait tout de même intéressante du côté des sponsors. Mais rien n'y fit: j'ai proposé que l'écurie porte le seul nom de Peugeot, qu'ils entrent au capital. Ils n'ont pas voulu. Eux comme les sponsors voulaient juste que le nom Ligier disparaisse et que l'écurie rejoigne la région parisienne. Peugeot a ensuite changé de président. Je n'en veux d'ailleurs absolument pas à Jean-Martin Foltz. Ce projet n'était après tout pas le sien. Puis j'ai appris qu'ils envisageaient un retour en rallye. J'étais certain qu'ils y seraient bons, et que cela serait dur à assumer pour nous, avec eux, côté F1, car la restructuration de l'équipe ne pouvait pas permettre d'espérer de bons résultats en 1998, ni forcément dans la foulée vu les efforts limités de Peugeot. Je savais déjà qu'il fallait réfléchir à la survie de l'écurie au-delà d'un épisode Peugeot délicat.

Et alors?
En 1999, je leur ai proposé d'arrêter avant le terme du contrat initial. Ils étaient même prêts à nous payer la fourniture du V10 client Supertec. Mais Renault a reculé. Ils savaient qu'ils allaient revenir en F1, ils ne voulaient pas se retrouver avec l'écurie Prost an moment de lancer la leur. Par ailleurs, mes négociations avec Mercedes ont échoué car McLaren a posé son veto. Quand nous sommes repartis en 2000 avec Peugeot, je savais que nous courrions à la catastrophe. Nous avons cassé 57 moteurs dans la saison, et terminé à la dernière place.

N'avez-vous tout de même pas payé très cher le fait d'avoir mis en cause publiquement Peugeot?
Si je n'avais rien dit, nous nous serions dirigés vers la mort de Prost Grand Prix de la même manière, mais en silence. Il fallait bien que j'essaye de m'en sortir, d'expliquer ce qui se passait. Pour le reste, on m'a reproché des choses auxquelles j'étais étranger. Quand les mécaniciens de Peugeot ont fait grève an Grand Prix de France, ils ont réagi aux propos de Jean Alesi, mais j'ai tout pris en pleine face. Aujourd'hui, cette aventure Prost Grand Prix me donne l'impression d'avoir été nommé pour une mission avec des cartes brouillées. Evidemment, dans mes démarches en tant qu'entrepreneur, j'ai senti une énorme différence lorsque la dissolution de l'assemblée nationale a provoqué un changement de gouvernement, mais au-delà de cela, et de nos débuts difficiles sur le plan sportif, je me demande si les dès n'étaient pas pipés dès le départ, si nos difficultés n'étaient pas programmées. Je me pose des questions, même sur le plan politique. Il y a des choses dont je ne peux pas parler pour l'instant. Peut-être vais-je devoir écrire un livre.

L'après Peugeot, ce fut la difficulté de trouver des sponsors, alors que vous deviez vous résoudre à une motorisation payante...
Pas de sponsors donc pas d'argent donc pas de moteur, et sans moteur, pas de sponsors... Et là, nous avons été très malchanceux. Yahoo! était prêt mettre 100 millions de dollars sur trois ans. Gauloises, avec seulement 110 millions de francs par an, pouvait comprendre la perte de son statut de sponsor principal. Il nous fallait dégager entre 500 à 600 millions de budget tout en payant le moteur Ferrari 200 millions! Mais la crise de la nouvelle économie a ruiné nos plans. De plus, j'ai fait confiance à UFA Sports, qui prévoyait de m'apporter 70 millions de dollars en sponsoring. Non seulement je n'ai pas vu le moindre dollar, mais en plus ils m'ont causé bien des problèmes sur le marché. Car je dois rétablir une vérité j'ai toujours eu de bonnes relations avec nos sponsors, avec qui j'ai toujours été honnête et transparent. Enfin, j'affirme que sans le 11 septembre, l'opération avec la famille saoudienne Al-Walid aurait été conclue. Prost Grand Prix serait encore là, avec son meilleur organigramme aux commandes depuis 1997 et un potentiel certain. Après tout, hors dettes du groupe et dettes personnelles, il ne nous manquait que 100 millions...

L'entrée au capital de Pedro Diniz l'an dernier n'aura pas suffi?
Autre vérité bonne à dire je l'ai contacté pour qu'il pilote avec l'apport d'un budget. Lui m'a proposé de rentrer au capital. Je lui ai rapidement dit qu'il pouvait racheter, que je n'y arriverais pas et que je devais songer à la sauvegarde de l'entreprise. L'écurie était à lui pour rien, si ce n'est le passif à apurer. Le point clé était le moteur. Il n'a pas donné suite à Renault, s est ensuite fâché avec Asiatech, puis il a disparu.

Ce fut le commencement de la fin?
J'ai lutté mais je le savais. En rendez-vous dans différents ministères, je me suis entendu répondre vos gens sont des spécialistes, il devrait être aisé de les recaser. C'est ça la France? Quand je vois que nos charges salariales étaient celles des écuries anglo-saxonnes qui emploient le double de personnes, quand je considère le passage aux 35 heures, je tire mon chapeau aux patrons de PME. J'ai évolué pendant cinq années dans un climat détestable. Aujourd'hui, trois autres écuries sont en difficultés. Les grands constructeurs veulent diriger le système à partir de 2008, mais rien n'est prévu pour aider les petites équipes à atteindre cette échéance. La F1 est prise d'une folie inflationniste dangereuse. A leur tour, certains constructeurs s'en mordront les doigts.

De quoi avez-vous envie aujourd'hui?
Je ressens une immense tristesse. Je vais prendre du recul, mais je reviendrais à la F1 d'une manière ou d'une autre. J'ai beaucoup appris. J'aimerais que les critiques fassent preuve d'un peu de décence. Se rendent-ils compte que c'est fini, que ce que j'ai voulu essayer de faire, il ne faut pas rêver, on ne le reverra plus. Aujourd'hui, je veux juste que l'on comprenne à quel point je suis révolté...

Propos recueillis par Cédric Voisard



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