DIMANCHE.CH, 29.12.2003

Alain Prost:
"Un jour, je reviendrai"


Texte: Jean-Marie Wyder

Porté aux nues pour ses talents de pilote, Alain Prost a goûté à l’amertume des calicots comme patron d’écurie. Avec la mise en faillite de "Prost Grand Prix" cette année, le Français a touché le fond. Silencieux jusqu’à hier, aujourd’hui il se livre.

C’est un lendemain de Noël. Alain Prost nous reçoit dans son hôtel particulier de Nyon qui surplombe le lac. C’est un privilège. L’homme ne s’est plus exprimé depuis dix mois. Depuis la mise en faillite de son écurie. A l’évidence, les blessures sont encore ouvertes. Sa fierté a été malmenée. Après une carrière de pilote exceptionnelle, il avait pris le pari de s’installer aux commandes de sa propre organisation, Prost Grand Prix. Son réseau de relations, son expérience de compétiteur, sa personnalité, sa popularité devaient rendre le coup jouable. Ce fut un raté mémorable. Un gâchis pour beaucoup. La France, qui l’avait adulé, le milieu qui l’avait surnommé le "Professeur" au temps de sa splendeur, le rejetèrent au rang de nain, le jour où il enfila son costume de businessman. Cette année, sans le chercher, même Schumi en a rajouté une couche en lui subtilisant la plupart de ses records. Difficile transition, implacable reconversion.

Pourquoi ce long silence?
C’était ma volonté, car ce fut une période très difficile à vivre et à accepter. Il y avait l’échec de l’entreprise, la fin de l’écurie et, surtout, la manière dont tout cela s’est déroulé. Je ne souhaite d’ailleurs pas m’étendre là-dessus, il faudrait y consacrer des heures. L’écurie, tout le système franco-français, ça a été une énorme déception pour moi. Il y a eu beaucoup d’hypocrisie, de jalousie, et le travail de sape des médias n’a pas toujours été clair, souvent téléguidé.

Que voulez-vous insinuer?
Que la confiance a été rompue et que, dans ce contexte, il valait mieux s’écarter de la scène. Et puis, le travail lié à la liquidation de l’écurie m’a pompé un maximum d’énergie. Maintenant, quand je parle du système franco-français, je veux dire que je n’ai jamais disposé du soutien qui pourrait exister en France, et que tant mon nom que mon image étaient devenus un problème récurrent. Pourtant, j’ai repris Ligier à un moment où, sans mon intervention, l’écurie ne finissait pas la saison.

En clair, vous estimez que la France vous a un peu laissé tomber?
C’est un pays qui possède une extraordinaire technologie comme celle développée par Dassault, un savoir-faire que beaucoup lui envient, des atouts multiples qui ne trouvent pas d’équivalence, pas même en Angleterre, le berceau du sport automobile. Je suis arrivé avec l’ambition de lancer un défi national en remontant une équipe compétitive sur cinq ans, mais finalement ramené à trois avec Peugeot. La mayonnaise commençait à prendre. Mais, en F1 aujourd’hui, il y a deux acteurs très importants qui agissent: les constructeurs et la presse spécialisée qui est à leur botte. La F1 est devenue un puissant outil de marketing. Et là, sur cinq années, dans ce contexte, j’ai vécu quatre ans et demi de cauchemar. Avec, pour revenir à mes propos à consonance politique, quatre contrôles fiscaux et la dissolution de l’Assemblée nationale, qui n’a rien arrangé à mon dossier.

Vous semblez très amer…
En fait, c’est tout le système qui est malsain et pernicieux. Ce qui est dingue, c’est que l’équipe a toujours été perçue comme étant capable d’être un jour championne du monde, alors que son budget était l’un des plus faibles, juste devant Minardi, et son personnel parmi les plus restreints avec seulement 200 collaborateurs.

Et, moralement, comment vit-on une pareille situation?
Ça a été très difficile. Tout de suite après le dépôt de bilan, j’ai vécu une période qui s’apparentait à du soulagement. Mais, ensuite, ce fut une succession de hauts et de bas, et je n’en suis pas encore sorti complètement. Heureusement, j’ai été entouré par mes proches, mes vrais amis, ma famille. J’ai pu faire d’autres choses que je n’avais pas eu le temps de faire et pas mal de sport, du vélo en particulier. J’aime construire, développer des projets et, là, je souffre, car je suis encore en train de gérer la liquidation de Prost Grand Prix. En fait, le plus difficile n’a pas été l’échec lui-même, car il aurait fallu un miracle sur le plan économique pour pouvoir continuer, mais la manière dont tout cela s’est passé.

C’est-à-dire?
Depuis deux ans, j’étais à la recherche d’un repreneur. J’ai eu une quinzaine de contacts sérieux, mais, en définitive, tout s’est écroulé. Le problème ne se situait pas au niveau de la reprise en elle-même mais des coûts liés à l’exploitation. Aujourd’hui, une écurie de F1 vit à environ 85% grâce à ses recettes publicitaires et 15% aux droits TV. Sans véritable sponsor, c’est la mort garantie. Financièrement, j’ai aussi laissé des plumes, mais là n’est pas le problème. J’ai une mentalité plutôt anglo-saxonne que française, et cet échec, je le vis mal, mais, en même temps, je sais que je n’en resterai pas là, que je rebondirai. Même si j’ai commis des erreurs, ma vision des choses à moyen et long termes a toujours été la bonne. Là, ça n’a pas marché.

La F1 vous manque-t-elle?
Oui, mais pas de la façon dont elle évolue aujourd’hui. Il faut très vite opérer des changements en commençant par l’abaissement des coûts et en redonnant de l’importance au pilotage. Si l’on prend la peine d’observer l’histoire du sport automobile dans son ensemble, on s’aperçoit que, à chaque fois que les grands constructeurs ont débarqué, ils ont tué les disciplines dans lesquelles ils s’étaient impliqués. Leurs moyens financiers sont tellement gigantesques que les petites équipes sont incapables de rivaliser. Un exemple: je proposais d’engager un ingénieur pour 300 000 dollars. La concurrence dont je tairais le nom l’a embauché pour 4 millions de dollars! A mon sens, ce genre de scénario ne peut pas continuer, car le retour sur investissement n’est plus possible.

Comment faire alors?
Ce qui me paraît important, c’est que des écuries comme Sauber ou Prost Grand Prix à l’époque doivent à tout prix survivre pour maintenir l’équilibre du spectacle. Le constructeur, lui, devrait rester un motoriste et non pas s’impliquer à tous les échelons du développement, comme il le fait désormais. Sans vouloir jouer les anciens combattants, je dois dire que, il y a à peine dix ans, nous étions tout sauf des robots. Avec 250 litres d’essence au départ, sans ravitaillement, gérer ses pneus, ses freins, sa boîte à vitesse, c’était une tout autre histoire. Aujourd’hui, les pilotes sont des singes: ils ne touchent pas aux réglages. Ils donnent les consignes aux ingénieurs, et ce sont les ordinateurs qui se chargent du travail. Pour moi, ce n’est pas ça la vraie compétition. Et en plus, dans le système dans lequel ils sont cantonnés, ils doivent fermer leur gueule. Sinon, c’est mauvais pour l’image du constructeur qui les emploie.

Il paraît pourtant difficile d’influencer cette évolution, non?
La domination de Ferrari qui est souvent avancée pour expliquer la question du désintérêt grandissant du public n’est en fait qu’un alibi. La F1 vit actuellement dans un système sclérosé qui ne tient pas compte de la situation économique mondiale et a fortiori de celle des sponsors, laquelle n’est pas prête de s’améliorer. Sans parler de la question liée aux lois antitabac qui seront bientôt appliquées. Ce qui a été décidé cet automne pour tenter de rendre les courses plus attractives ne devrait être qu’un début. Il faudrait aller plus loin en concevant des voitures plus difficiles à conduire. Le problème, c’est qu’avec les fameux Accords de la Concorde qui requièrent l’unanimité pour les modifications majeures des règlements techniques, cette unanimité est impossible à réunir. Il faut changer cela. C’est une hérésie, et parfaitement antidémocratique.

Vous dites: "Un jour, je reviendrai." Sous quelle forme?
J’aimerais renouer avec le sport automobile. Je me rends souvent aux Etats-Unis, non seulement pour rendre visite à l’un de mes fils qui poursuit ses études à Columbia, mais aussi pour mieux comprendre comment les Américains s’y prennent. Avec un budget de 10 millions de dollars, on peut monter une équipe en NASCAR et avoir du succès (n.d.l.r.: ses yeux se mettent à pétiller). C’est une formule qui pourrait me tenter. On m’a prêté des intentions de faire Le Mans, mais c’était sur une simple invitation d’Audi et de Bentley que je m’y suis intéressé, sans plus. En revanche, il y a de bonnes chances que je dispute ces prochaines semaines quelques courses du Trophée Andros. Ce serait renouer par la base avec ce sport qui m’a beaucoup donné et qui peut, je crois, m’apporter encore des satisfactions.

Propos recueillis par Jean-Marie Wyder



Back to interview-page!

To Prost-infopage!

To prostfan.com!

prostfan.com © by Oskar Schuler, Switzerland