FRANCE-SOIR, 04.05.1992

Prost: "Je veux revenir"



C'ÉTAIT SA PREMIÈRE APPARITION SUR UN CIRCUIT DE GRAND PRIX DEPUIS LE DÉBUT DE LA SAISON.

Deux caméras, trois parapluies, trois hommes qui portent ces parapluies, des flashs qui crépitent, des photographes qui se prennent les baskets dans leurs marches arrière d'aveugles fébriles... L'attroupement est caractéristique. Deux personnes sont capables de rassembler autour d'elles autant d'énergie sous un déluge espagnol: Ayrton Senna et Alain Prost. Même Nigel Mansell ne possède pas cette petite cour d'attentionnés réservée en exclusivité aux triples champions du monde. Le Français, venu honorer pour la première fois son contrat avec TF1, n'est resté que quelques heures à Barcelone, qu'il a quittée avant le Grand Prix. Le temps que Bruno, le cuisinier de Ferrari, lui tombe dans les bras, le temps que Jean Alesi vienne le rejoindre dans le motor-home Elf pour une discussion entre copains, le temps que les mécanos de Ferrari lui fassent la fête dans les stands. Prost ne sera pas à Imola, dans quinze jours, préférant éviter un climat italien trop exalté à son goût. Mais après le silence de ces derniers mois il a confié en toute décontraction à «France-Soir» ses regrets et ses espoirs, ses déceptions et ses projets.

Comment se passe cette année de vacances?
Ce n'est jamais qu'une année sabbatique, qui permet de décompresser. Il faut que je me prépare physiquement pour l'année prochaine, si je veux revenir... si je peux revenir dans les meilleures conditions. Si je prends en compte le karting, cela fait vingt ans que je suis sur des circuits. Ça fait du bien de ne pas penser aux essais le matin, l'après-midi à la course. C'est complètement diffèrent, je profite de moi, de mes enfants, je fais du sport, je commence d'ailleurs à en faire beaucoup plus pour mieux me préparer.

Un an sans piloter n'est-ce pas un handicap insurmontable?
J'ai conduit début février et si je signe un contrat, ce sera en août, septembre... Je pourrai conduire tout de suite, ce qui ne fera jamais que six mois sans piloter. Ce ne sera que bénéfique et je reviendrai avec plus d'agressivité et de compétitivité. Cette année, c'était mieux de ne pas tendre une voiture 100 % compétitive, capable de se battre pour le championnat plutôt que de conduire une mauvaise voiture. Je veux revenir. Si j'ai l'occasion, bien sûr que je reviens!

Où vous situez-vous sur le marché des pilotes?
Je considère que je n'ai pas trop de problèmes... En fonction des places déjà occupées, je verrai, cela ne dépend pas que de moi. En Formule 1, aucune porte n'est définitivement fermée ou définitivement ouverte. Toutes les écuries compétitives sont possibles.

Même Ferrari?
Je n'exclus rien.

Et votre procès avec eux?
(Sec et déterminé) Je ne laisserai pas tomber. Cela peut se terminer dans quelques mois... comme dans quatre ans.

Luca de Montezemolo, le nouveau président de Ferrari, affirme que sous son règne vous seriez resté, vous le croyez?
S'il avait été là je ne serai jamais parti de chez Ferrari, c'est vrai, j'en suis certain.

Où en sont vos tractations avec Ligier?
Rien n'est jamais fini, mais pour l'instant, ce n'est pas ma préoccupation principale.

Et faire les 24 Heures du Mans sur une 905?
Ce n'est pas d'actualité même si ce serait super de gagner avec Peugeot. Oui ce ne serait pas mal.

Quels sont vos sentiments en revenant dans un paddock après six mois d'absence?
Cela ne m'inspire rien, aucun regret, aucune nostalgie. A partir du moment où je ne suis pas un pilote bien installé, en bagarre pour le championnat, je ne pense pas qu'on soit très à l'aise... Mais il faut revenir, garder le contact de temps en temps. J'avoue que ça ne me dit rien de venir trois jours pour chaque Grand Prix, mais rester au contact des gens, de la technique, c'est important. Je suis un peu isolé, en dehors du coup, et ça me fait plus de bien qu'autre chose. Il ne faut pas que je retombe dedans, mais il faut garder quelques points de repère.

Vous avez vu les trois premiers GP?
(Rires) Je les ai regardés, mais pas complètement. Je trouve ça ennuyeux, mais ce n'est pas de la faute de Williams, c'est la faute de ceux qui ne sont pas compétitifs! Ça manque de piment, car aucun pilote français n'est capable de gagner un GP.

Vous avez un attachement particulier pour un pilote, une écurie?
(Songeur) Oui, même si c'est un sentiment un peu controversé. Quand je vois Jean Alesi... car j'ai toujours eu des super-contacts avec lui. Je sais qu'il souffre beaucoup plus qu'il ne veut le laisser paraître, mais je ne peux pas dire que j'ai énormément de sympathie pour les performances de Ferrari, bien qu'avec le temps, le travail, ils mériteraient quand même d'y arriver.

Quelle leçon tirez-vous de vos deux ans passés à la Scuderia?
C'était une erreur fondamentale de ma part de croire qu'une seule personne pouvait changer quelque chose chez Ferrari, que cette personne soit italienne ou pas d'ailleurs, cela n'aurait rien changé au problème.

Aujourd'hui, le commandement est concentré dans les mains d'une seule personne, ce que vous réclamiez. Ils écoutent vos conseils, mais c'est trop tard pour vous?
Je vois les choses d'une manière plus globale. Quand j'ai eu des problèmes avec René Arnoux, Gérard Larrousse a expliqué un an plus tard ce qui s'était passé. En 1990, à Suzuka, j'ai eu des problèmes avec Senna. Un an après, il avouait qu'il m'était rentré dedans volontairement. Quand j'ai des histoires avec Ferrari, ils réorganisent l'écurie... C'est une satisfaction personnelle, mais on en parle toujours plus quand il y a des problèmes et moins quand il s'agit de rétablir la vérité, c'est un peu dur à accepter.

Qu'est-ce qui vous manque?
Une petite réhabilitation.

Propos recueillis par
Martine CARRET



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