LE SOIR, 09.10.2009

Alain Prost: « La F1 a perdu ses passionnés »


Interview: Thierry WILMOTTE

Que pensez-vous de cette saison de F1?
Il y a du suspense. C’est une saison bizarre, ça paraît injouable sur le papier, mais il suffirait d’un résultat blanc de Button pour qu’on ait un final exceptionnel à nouveau. Car alors, le côté psychologique sera très difficile à gérer à l’abord de la dernière course. Généralement, il est clair que c’est quand on veut assurer un résultat qu’on commet le plus facilement des erreurs.

Sincèrement, vous voyez Button flancher?
Pourquoi pas? Vous savez, aucun des trois n’a été champion du monde. Conquérir son premier titre génère toujours un surplus de pression énorme. Il est bizarre aussi de constater qu’il a si bien maîtrisé le début de saison, mais que c’est Barrichello qui est meilleur depuis la moitié du championnat. Pour moi, Jenson ne gère pas si bien que ça la situation. La preuve, c’est qu’il a fait des dépassements incroyables. Il a clairement pris certains risques. Si vous regardez ses six victoires, il y en a peut-être une ou deux où il domine vraiment, et puis les autres ou ça a été nettement moins évident…

Des Brawn qui se battent avec des Red Bull pour le titre. Bizarre, n’est-il pas?
Et surtout pas très valorisant pour des constructeurs! En tout cas, je suis admiratif du coup marketing réussi par Red Bull.

Croyez-vous que Fernando Alonso sera aussi bien que Michael Schumacher chez Ferrari?
Il y a un aspect humain, une chimie qui doit fonctionner. Regardez l’aventure McLaren, on pensait que cela devait fonctionner à fond, et ça a foiré. Adrian Campos m’avait expliqué que depuis tout petit, pour Alonso, arriver chez McLaren était une forme d’aboutissement, et pourtant on sait ce qu’il en est advenu. Alors oui, sur le papier, Ferrari, Massa et Alonso, ça doit le faire. Mais il faudra voir…

Vous parlez de Massa, pensez-vous qu’il sera capable de revenir à 100 %?
D’abord, je ne suis pas médecin. Donc, à ce niveau-là, je ne peux rien dire. Ce qui est important, c’est que ce qui lui est arrivé est vraiment invraisemblable, incroyable, inimaginable. D’un autre côté, cela veut donc dire qu’il n’a pas commis une sortie de piste ou une erreur. Au plan psychologique, c’est très important pour la suite.

Comme avez-vous vécu cette l'affaire Renault?
Très mal. C’est attristant, affligeant. Mais ce qui s’est passé là est malheureusement symptomatique de ce qui se passe dans beaucoup de sports et même dans la société en général. A la base, ce sport s’est développé grâce à des passionnés. Nous étions tous des passionnés, Bernie Ecclestone y compris. Mais la F1 a généré un tel business qu’elle a attiré des gens qui ne sont plus venus que pour cela. Je crois même ne pas me tromper en affirmant qu’aujourd’hui, il y a certains pilotes qui sont là presque contre leur volonté. En tout cas pas par passion, mais plutôt par la volonté d’un père ou d’un agent…

En tant que pilote, pouvez-vous comprendre le geste de Nelson Piquet Jr?
Je pense que Briatore l’avait plongé dans un contexte moral détestable, dès son arrivée chez Renault. Et par ailleurs, le même Briatore subissait depuis plusieurs courses une pression énorme de Carlos Ghosn pour le virer. Mais malgré cela, j’ai été extrêmement choqué du geste dans le sens où une F1, c’est un objet magnifique, fruit du travail de centaines de personnes, bijoux de technologie. Allez la mettre dans le mur, c’est extrêmement choquant.

Renault pense à vous pour prendre la direction de l’équipe. Après Prost GP, prêt à relever ce défi?
La faillite de mon écurie me restera à vie en travers de la gorge. Mais cela n’a rien à voir. Je suis bien sûr intéressé par ce challenge, mais pour avancer dans la réflexion, je dois d’abord être confronté aux bonnes personnes et voir exactement la philosophie avec laquelle Renault veut continuer. Il y a deux aspects à gérer: la technique et la performance, et puis l’image. Bien sûr, celle-ci a été fameusement écornée. Maintenant, si vous me demandez si je suis prêt à faire 19 GP de par le monde, et à passer 15 heures par jour à Enstone, là je vous confirme que c’est non.

Avec l’affaire Renault, la F1 a sans doute montré ce qu’elle avait de plus moche. Jean Todt est pressenti à la tête de la FIA que quittera Max Mosley à la fin du mois. Changement en vue?
On peut l’imaginer, oui. Mais ça prendra encore un peu de temps pour changer les choses en profondeur. Jean aura un grand rôle à jouer…

Depuis votre départ, la F1 a bien changé?
La F1 a subi une évolution majeure à partir du moment où les constructeurs y ont débarqué en force. C’était quelque chose d’inéluctable. Ce qui l’était moins, mais qui s’est malheureusement passé, c’est que ces constructeurs ont toujours été soutenus au détriment des petites écuries. Et quand j’évoque les "petites écuries", je parle de Lotus, Brabham, Tyrrell ou Ligier, excusez du peu…

Que faire pour requinquer la Formule 1?
Aujourd’hui, il y a deux problèmes majeurs: le spectacle, qui a pâti de certaines décisions comme l’introduction des ravitaillements ou la frilosité dont a fait preuve le législateur en matière aérodynamique, et la réduction des coûts. Cette croisade a été menée par Max, mais pas toujours dans le bon ordre. Imposer le gel des moteurs a par exemple été une erreur monumentale car c’est justement sur ce point-là que les constructeurs peuvent et veulent se distinguer. Enfin, la suppression des essais a également été à l’encontre de la sécurité et de la promotion des jeunes.

A vous entendre, on vous verrait bien rejoindre le gouvernement de Jean Todt?
J’ai déjà parlé avec Jean. Mais vous savez, j’aime bien donner mes idées, mais pas au point de me lancer dans cette politique. Je les emmerderais plus qu’autre chose…

Et prendre la succession d’Ecclestone?
Très peu pour moi. Conseiller oui, diriger non. Et certainement pas seul. De toute façon, je crois qu’on est arrivé au bout du système. Dans deux ou trois ans maximum, il ne sera plus possible d’avoir un truc aussi gros que la F1 dirigé par une seule personne.

Au-delà de ça, le sport auto n’est plus vraiment dans l’air du temps non plus?
C’est clair et c’est une vraie préoccupation. On a perdu cette culture et cette tradition. Mais il faut pouvoir en profiter. Et proposer d’autres choses. Tenez, alors que la mode actuelle est au « down sizing » pour la voiture de Monsieur Tout-le-Monde, pourquoi ne pas appliquer cela en F1? Lancer un défi aux ingénieurs. Du genre: vous avez un moteur d’un litre de cylindrée, turbo-compressé, et vous avez 160 litres d’essence pour arriver au bout du GP. A vous de jouer! Je vous garanti que les ingénieurs vont relever ce défi, et qu’avec ce qu’ils auront trouvé, la F1 gagnera en spectacle, et la production de série sera bénéficiaire.

Y aura-t-il encore un GP de France?
Trop compliqué par la politique! Et pourtant, un circuit de F1, c’est 8 heures de F1 par an. Mais on ne parle que de ça et on oublie tout le reste. Pourtant positif. Savez-vous qu’à Magny-Cours, un GP, c’est 30 millions d’euros de retombées! A ce sujet, j’ai entendu que vous aviez de nouveau des soucis à Francorchamps? C’est dingue, vous avez un joyau entre les mains, et vous n’arrêtez pas de le rejeter. Je ne vous comprends pas…



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