AGRICULTURE INFORMATION, 08.11.2006

Une interview d’Alain Prost, champion de Formule 1
"Réhabiliter l’agriculture et l’automobile"



Pour le quadruple champion du monde de Formule 1, Alain Prost, qui a dirigé le groupe de travail sur le flex fuel, commandité par le gouvernement, ce projet ambitieux et concret pour le pays peut « réconcilier » les Français avec l’automobile et avec l’agriculture.

Quelles ont été vos motivations pour accepter de piloter le groupe de travail sur le flex fuel ?
Le terme « piloter » est un peu galvaudé dans ce sens-là. Présider un groupe de travail, c’est encadrer des gens, et il y a peu de similitudes avec piloter une voiture ou l’idée que beaucoup de gens s’en font... Piloter une Formule 1, pour être champion du monde, c’est encadrer une équipe aujourd’hui de pratiquement 1000 personnes. C’est du « management ». J’ai aussi géré plusieurs entreprises, dont une de 300 salariés en France. Je connaissais bien entendu parfaitement le milieu des constructeurs, des équipementiers, des pétroliers… La partie moins familière pour moi, c’était finalement l’agriculture. J’ai eu la chance aussi dans mon métier de travailler beaucoup à l’international, avec des constructeurs et des sponsors étrangers ; ce qui apporte une expérience précieuse dans ce genre de projet. Accepter cette mission était aussi pour moi être utile pour mon pays, agir pour le drapeau et servir une noble cause, celle de l’environnement. J’aime aussi le secteur automobile, vous vous en doutez, et j’avais envie de l’accompagner, lui rendre service. J’ai fait tout cela bénévolement, en sentant qu’il y avait derrière une réelle volonté gouvernementale et que ce n’était pas un effet d’annonce, un coup média.

Comment avez-vous procédé pour aboutir à ce rapport ambitieux et rassembler toutes les parties concernées ?
Thierry Breton, qui était convaincu que j’étais l’homme de la situation, a réussi à me persuader. Mais j’ai mis malgré tout trois jours avant d’accepter sa proposition. J’ai lu un certain nombre de rapports sur le sujet, et j’ai cherché à me faire une idée plus concrète et terre à terre de la situation en allant rencontrer les différents acteurs. Malgré l’ampleur de la tâche que j’ai bien cernée dès le départ, j’ai finalement accepté cette mission. J’ai eu pour objectifs d’aboutir vite et d’avoir un projet ambitieux qui marque les esprits. Il fallait effectivement traiter ce sujet dans un laps de temps très court, car les intérêts des différentes parties étaient très divergents. L’idée de la signature d’une Charte, qui ferait s’engager chacun de façon claire, m’est venue dès le départ. La mise en place rapide d’un réseau de distribution avec environ 500 pompes dès 2007, était nécessaire. Bien sûr, cette croissance doit être exponentielle.

Pensez-vous que les délais puissent être tenus et les objectifs réalisés aussi rapidement ?
Je me suis rendu compte avec satisfaction que des pas étaient déjà engagés, du côté de l’agriculture particulièrement, avec des projets d’incorporations de 5 et 7 %, et des aides appropriées à des horizons assez proches. Une partie des investissements avait déjà été faite ou était en train d’être concrétisée dans les usines d’éthanol. C’était fondamental pour faire aboutir le dossier. Le monde agricole était prêt ! Et puis, du côté des constructeurs, il fallait aussi prendre un virage… Ils sont prêts à jouer le jeu et certains y croient très fermement. Les acteurs les plus difficiles à convaincre finalement, étaient les distributeurs et les pétroliers, dont la vocation n’est pas de distribuer de l’E-85 (ndlr, carburant composé de 85 % d’éthanol et de 15 % d’essence). Il fallait des aides bien ciblées… Nous avons par exemple décidé d’aider les distributeurs indépendants, de façon à avoir un maillage régional sur tout le pays. Dans ce projet, chacun doit s’y retrouver, sans être pénalisé. Et puis, il s’agit de faire évoluer les mentalités, ne plus raisonner de façon corporatiste, avec des œillères, pour faire adhérer l’ensemble des protagonistes à une cause commune…

Est-ce que ce qui se passe en Suède ou au Brésil, pays précurseurs dans ce domaine, est transposable en France ?
L’incorporation d’éthanol n’est pas nouvelle, elle existe et a fait ses preuves depuis plus de 20 ans maintenant. Certains pays effectivement comme le Brésil, la Suède, y ont recours depuis longtemps. De mon côté, j’ai gagné quatre grands prix en Formule 1 avec des moteurs de 4 à 5 % d’éthanol ; j’ai beaucoup questionné les ingénieurs, appris comment cela fonctionnait. Le projet suédois et tout ce qui a été fait à Stockholm est à replacer dans le contexte d’un pays du Nord, avec un état d’esprit particulier. C’est une question politique. Avant d’équiper les villes, et d’en faire un vaste chantier pour la France, je pense qu’il faut convaincre les utilisateurs et que l’E-85 soit disponible aux pompes rapidement.

Comment le projet a-t-il justement été accueilli au Mondial de l’Automobile ?
Les gens se sentent de plus en plus concernés par les questions d’environnement et je les ai trouvés très réceptifs. Les Français sont impatients, ils se demandent comment adapter leur propre véhicule… Je n’ai pas senti de réticences, d’inquiétudes particulières sur la fiabilité, comme avec le GPL, par exemple. Ils sont sensibles au fait qu’on aide indirectement l’agriculture et ainsi une partie du patrimoine culturel et économique de la France. Ils sont également contents d’avoir la perspective d’un carburant moins cher et de contribuer à diminuer notre dépendance énergétique. Ils peuvent aussi être réconciliés avec leur voiture, qui leur coûte de plus en plus cher. L’automobile reste importante dans notre pays, comme l’agriculture…

Voyez-vous des comparatifs, des passerelles entre le monde de l’automobile et celui de l’agriculture que vous avez appris à découvrir ?
Il est urgent de réhabiliter l’automobile, comme l’agriculture. Je crois que l’automobile est à la fin d’un cycle et que le secteur va évoluer d’une façon très différente, en posant de gros problèmes à certains. Donc, il faut s’adapter à une nouvelle situation. Ce projet est une façon très facile et peu onéreuse pour les constructeurs automobiles de s’adapter très facilement au contexte mondial, économique, qui évolue. Les gens commencent à se passer de leur voiture et à y consacrer moins d’argent, au profit des vacances par exemple. Avec les voitures flex fuel (ndlr, moteur qui peut utiliser deux ou trois types de carburant), ils pourront rouler moins cher, sans faire des investissements énormes et en respectant l’environnement. Quant à l’agriculture, je crois que les Français y sont toujours très attachés, mais ils ont une idée vague des préoccupations du monde agricole ; il faut dire que les messages qu’il diffuse ne sont pas toujours harmonisés. Ce projet est peut-être une façon de réconcilier les Français avec leur agriculture, montrer que les biocarburants peuvent profiter à l’ensemble des agriculteurs, les petits comme les plus grands, et servir une cause générale, bénéfique à tous.



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