AUTOSPORT, 21.04.1988

La rubrique d'Alain Prost



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Many thanks go to Sylvie Lacord for translating this column!

Donc, Ron Dennis a bien le sens de l'humour. J'aurais peut-être du davantage prêter attention à la petite boutade qu'il a adressée à certains journalistes, samedi matin, à la fin de la seconde session. "Il y a des avantages à ne dévoiler ses batteries qu'à la dernière minute... mais il y a aussi des inconvénients".

Vous avez compris. Après que la toute nouvelle McLaren MP4/4-01 ait connu des débuts prometteurs lors de sa première sortie à Imola (si prometteurs d'ailleurs que c'était presque spectaculaire), l'équipe Marlboro McLaren partit pour Rio à toute allure. Mais à Rio c'était une toute autre histoire.

Sur les trois châssis: Senna a obtenu le premier qui fut construit (MP4/4-01) et moi le dernier (MP4/4/-03). Le troisième était celui de réserve. A Rio, j'ai réalisé de longues séances de réglages en attendant impatiemment la suite, mon travail étant de me concentrer sur le châssis.

Ayrton était responsable des essais moteurs, parce qu'il est particulièrement "au fait" dans ce domaine, et il connaît par cœur le Honda V6. Il avait également la voiture de réserve à sa disposition, et cela lui permettait toujours de faire d'excellentes comparaisons entre les deux.

Je devrais peut-être expliquer le rôle d'une voiture de réserve, cette année. Traditionnellement, chez McLaren, la voiture de réserve est attribuée successivement à chacun des pilotes, de Grand Prix en Grand Prix. Cette année nous allons pratiquer différemment.

On lance une pièce de monnaie, et le gagnant peut décider de la course où il utilisera le mulet. Ayrton a gagné les deux premiers lancers, et il a immédiatement choisi Rio et Saint-Marin. J'ai gagné le troisième, et j'ai choisi Mexico. En plus de Mexico, j'aurais la voiture de réserve à ma disposition en France, en Angleterre, en Hongrie et au Portugal. Senna l'aura en Allemagne, en Belgique et en Italie.

A Monaco, au Canada et à Détroit, on aura probablement chacun un mulet. Mais cette possibilité pour les trois derniers Grands Prix de la saison doit être confirmée, et sera certainement réservée à celui de nous deux qui sera le mieux placé au Championnat du Monde.

Donc à Rio, je n'ai pas eu le mulet, et ma voiture de course était définitivement ingérable. Il y avait des petits à coups, notamment, et même si j'avais été plus rapide le vendredi matin, pendant les essais libres, je ne pouvais pas éviter de faire un tête à queue dans le tour suivant mon envol. BANG devant les stands. Pris la main dans le sac!

Quelques spectateurs ont dit qu'à priori, j'ai du perdre le contrôle de la voiture dans la dernière courbe. D'autres ont pensé que quelque chose avait cassé. Ron Dennis a opté pour la première solution, mais je n'en étais pas vraiment certain. J'ai bien tenté de redresser quand elle a commencé à glisser, mais la voiture a réagi d'une manière inexplicable.

Au premier abord, ni le châssis ni la suspension n'ont trop souffert de l'incident. Cela prit tout de même deux bonnes heures de travail pour tout remettre en ordre, ce qui nous a carrément privés de la première séance d'essai.

Le problème c'est que la voiture de réserve correspondait exactement aux réglages d'Ayrton et je ne pouvais pas vraiment l'utiliser. Mais quelques minutes avant la fin de la séance, j'ai quand même pu régler mon premier train de pneus de qualifications. Ma voiture était prête, mais bien qu'elle ait été complètement vérifiée, elle s'est révélée être très instable, spécialement au freinage, où elle tirait carrément à gauche.

J'étais en quatrième position sur la ligne de départ, et ce n'était pas du tout à l'image du potentiel de la voiture. Senna avait déjà fait la démonstration de ce qu'il pouvait faire, et avait décroché la pole position.

Aussi loin que je me souvienne, j'avais simplement eu le temps de remarquer qu'à Imola, je n'étais pas confortablement installé, et j'étais méchamment fouetté par l'air. Non seulement cela, mais la visibilité était consternante. Je suis très maniaque par rapport à ce genre de choses.

Le samedi matin, Neil Oatley, mon motoriste, avait compris l'origine de mon tête à queue de la veille: une pièce de suspension arrière touchait la boîte de vitesse. Elle a été refixée, et j'ai démarré confiant. Le second problème avait été également résolu. La boîte de vitesse, qui grinçait comme un vieux camion? Réparée. C'était dû à la deuxième vitesse. Ma position assise? Rectifiée.

Nous avions, par conséquent, bien progressé, et je suis reparti tourner avec 130 litres d'essence, presque un plein embarqué. J'ai fait deux tours, et je suis vite retourné au stand. Il y avait un nouveau souci. Neil, Ron Dennis, Gordon Murray et Steve Nichols examinèrent tous la voiture, et constatèrent que l'aileron avant était en train de se détacher du museau.

Cela signifiait que le châssis ne pourrait pas tenir le coup, et l'incident était suffisamment sérieux pour déclencher un super conseil de guerre. On demanda à Ayrton de s'arrêter, et les trois MP4/4 ont immédiatement été observées au microscope. L'ambiance était très tendue, mais il s'est vite avéré qu'il s'agissait d'un vice de fabrication, et qui ne concernait que ma voiture. Cependant, toutes les voitures ont été consolidées, au cas où.

Comme tout était rentré dans l'ordre, Ayrton poursuivit la séance et je traînais en attenant que la voiture de réserve soit équipée du siège et des pédales qui me sont propres. Cela a été effectué pendant la séance d'essais libres, donc quand le circuit a été ouvert pour la dernière heure de qualifications, je m'y suis jeté sans même penser à vraiment prendre le temps de m'adapter à la voiture, et la pluie menaçait. Mais je savais tout de suite que ça ne serait pas très bon. Cependant, en étant quand même léger en accélération, j'ai réussi à améliorer mon meilleur temps du jour de 3 secondes.

Ensuite, Ayrton a réalisé la pôle position en 1mn 28.09 sec. Mon accélération a été vérifiée, j'ai fait quelques tours pour la tester, et revêtu mon second train de pneus. Cette fois, il n'y avait plus qu'à tout faire tourner.

C'était même encore pire. J'ai vraiment donné tout ce que je pouvais, et j'ai fait 1mn 28.782sec. Le support de ma roue avant droite baignait dans l'huile et mon soubassement avait tendance à vibrer ce qui rendait la voiture inconduisible. Une vraie Bérézina! (défaite française ainsi nommée, en mémoire d'une rivière que Napoléon croyait gelée pendant la Retraite de Russie. Elle ne l'était pas. 12'000 morts.)

Que voulez-vous faire dans une situation comme ça? pas grand chose. C'était un jour sans. Ces qualifications pour le Grand-Prix du Brésil ont vraiment été une course dans la course, parce que tant de choses devaient être effectuées si rapidement. Je suis resté deux heures avec Neil et Barry afin de les aider à préparer la voiture pour la course, afin de parfaire les réglages, mon assise, et pour contrôler toutes les parties de la voiture. Exactement comme Senna l'aurait fait...

Blague à part, j'ai trouvé dans Ayrton un co-équipier extrêmement passionné par son métier, et il est probablement aussi perfectionniste que je ne le suis. C'est la première fois de ma carrière que je suis accompagné par un pilote de cette envergure, si déterminé dans sa volonté de réussir en F1.

On a donc décidé plutôt rapidement que je devrais utiliser le mulet pour la course. Une fois que nous avions terminé la préparation de la voiture, je suis parti dîner dans une churrascaria (plats d'Amérique du Sud) près de l'hôtel, avec mon copain Stefan Johansson et quelques amis, sachant que le matin de la course, je n'aurais qu'environ ½ heure pour régler correctement le mulet.

Et il a plu pendant le warm-up! J'ai du faire avec les quelques réglages effectués à la hâte. C'est dans ce contexte que j'ai manqué les quatre séances d'essai qu'Ayrton avait pu obtenir. Il ne me restait qu'à attendre le début de la course, dans laquelle j'arrivais sans savoir grand chose, et avec une McLaren dont je ne connaissais que peu le comportement. On était en plein inconnu.

La course s'est en fait déroulée d'une manière totalement opposée. La chance m'a sourit, si on peut parler de chance dans ce milieu. Je dois vraiment remercier mon équipe, qui entre la nuit du samedi au dimanche, a fait de l'impossible une réalité.

Les modifications que j'avais demandées, afin de me permettre d'effectuer le Grand Prix, se sont avérées être du pur bonheur. J'ai pu dominer la course du début à la fin, aidé par la défaillance de la boîte de vitesses d'Ayrton et par la suite de sa disqualification.

Avant le drapeau noir, il avait abordé la piste assez spectaculairement, mais quand mon stand m'a alerté, il était second, à 30 secondes d'intervalle, et j'ai accéléré pour creuser l'écart: 31.2 secondes, 32.1 secondes, 33.8 secondes, avant de m'arrêter deux tours plus tard afin de changer mes pneus, et de reprendre le commandement. C'était notre tactique.

Mais nous ne courrions pas franchement la même course. Senna avait démarré le Grand-Prix depuis la ligne des stands, et il avait donc deux tours d'essence en plus, dans la mesure où il n'avait pas effectué les deux tours du warm-up, de mémoire.

Après l'épisode Senna est arrivé le drame Berger. Après la course, mes amis m'ont félicité, mais m'ont reproché de les avoir effrayés. En fait, de là où j'étais assis, l'attaque de Berger n'était pas impressionnante. En première position, j'ai choisi de n'effectuer qu'un arrêt au stand pour mon changement de pneus, et j'avais du dépasser quelques attardés ce qui m'avait fait perdre du temps, aussi. Et je savais pertinemment ce dont les Ferrari étaient capables.

J'ai décidé d'aller à la pêche, afin d'attirer les Ferrari au bout de ma ligne, et les laisser elles-mêmes mordre à l'hameçon. Alors dès que Berger est arrivé à 10 secondes de moi, une limite que j'avais moi même décidée, j'ai appuyé un peu et j'ai laissé Gerhard derrière.

Pour être franc, je n'ai jamais été vraiment inquiété ni par Senna ni par Berger. En vérité, la seule peur que j'ai eue fut sur la grille départ, quand un fan brésilien, un peu plus enjoué que les autres, a tenté de m'embrasser juste quelques instants avant le feu vert! Ca m'a fait sursauter. Ce n'était pas la meilleure façon d'être concentré, au départ de la première course de la saison.

Cependant, cela doit vouloir dire que je suis populaire à Rio. Finalement, j'avais déjà gagné 4 fois là-bas, et ça allait être la cinquième…



Alain Prost, FIA World Champion 1985/1986



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