PROST PEUGEOT, 16.12.1998

La parole à Alain Prost


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PROST PEUGEOT
Le magazine des partenaires
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La tension du championnat retombée, l'intersaison, moment de travail intense, est l'occasion de prendre un peu de recul. Alain Prost fait le point.

Avec le recul, comment analysez-vous la saison écoulée?
Aujourd'hui, je n'ai plus envie de reparler de 98: on est parti depuis long-temps sur 99. Cependant, nous avons bien analysé ce qui s'est passé cette saison. Cela ne règle pas tous les problèmes, mais ça nous donne plus de chances de partir dans la bonne direction, d'autant qu'en 99 le règlement ne change pas. C'est vrai que 98 fut une saison frustrante, parfois décourageante. La motivation s'en ressentait. Notre voiture progressait mais les autres aussi et nous n'améliorions pas notre position. L'important, c'est d'avoir compris ce qui s'est passé et de s'en servir pour l'avenir.

Comment une erreur comme celle de la boîte de vitesses a-t-elle été possible?
La boîte était le premier problème visible sur la voiture. Il a masqué les autres faiblesses et d'autres problèmes de fiabilité. C'était un projet mené par un seul homme. Il faut se rappeler que lorsque le projet de cette boîte de vitesses a été lancé, en mars 97, je venais d'arriver. Nous n'étions que 65 et j'étais pris par mille problèmes. Nous n'avions ni les moyens techniques, ni le temps d'effectuer les contrôles nécessaires. Il aurait fallu décider de refaire une boîte conventionnelle. De tous les choix que j'ai dû faire depuis deux ans, c'est le seul que je regrette.

Quelles étaient les autres faiblesses de l'AP01?
Tout a déjà été dit sur ce point. J'aimerais seulement rappeler que le nouveau règlement 98 était une véritable révolution. Le fait de rétrécir les voies des voitures nécessitait un concept aérodynamique complètement nouveau. L'emplacement du centre de gravité d'une monoplace devenait encore plus déterminant que sur une voiture large. Le travail à réaliser était énorme. Nous étions trop peu nombreux, il nous a manqué du temps.

Comment vos pilotes ont-ils vécu ces difficultés?
98 fut une année frustrante pour toute l'équipe, mais elle le fut sans doute encore plus pour nos deux pilotes. Plus que d'autres, ces derniers ont besoin de résultats pour conserver toute leur motivation. Or, une baisse de motivation chez un pilote peut être contagieuse. J'ai dû parfois les recentrer l'un et l'autre. Jarno est encore très jeune et cette saison 98 aura été la première vraie galère de sa carrière: c'est une expérience formatrice pour son avenir. Le plus important: nos pilotes, Olivier Panis et Jarno Trulli, ont retrouvé cent pour cent de leur motivation en fin de saison.

Qu'est-ce qui vous a poussé à faire confiance à Stéphane Sarrazin pour l'avenir, plutôt qu'à Ayari, Collard ou Montoya?
Il est jeune, il est frais dans sa tête, ü n'est pas pollué par un entourage. Personne ne lui dit ce qu'il doit faire, en dehors de nous. Un rapport de confiance s'est vite établi et il a progressé très rapidement. Il réalise en ce moment un excellent travail sur la voiture hybride.

Quelles qualités attendez-vous d'un futur pilote de F1?
Le coup de volant est une chose. Mais à talent à peu près égal, l'important, ce sont la mentalité et le caractère. Pour devenir un grand pilote, il faut être très consciencieux, très professionnel et très motivé. Début 98, Jacques Villeneuve, par exemple, se battait à chaque course pour la septième ou la huitième place. Pour un Champion du Monde sortant, cela devait être frustrant. Mais il continuait à attaquer comme un forcené. Pour l'ensemble de son équipe, c'était un exemple formidable. Schumacher, chez Ferrari, est de la même trempe. Ce sont des grands pilotes.

Quels changements d'organisation ont entraînés les difficultés que vous avez rencontrées cette saison?
Notre organisation technique 99 est sans commune mesure avec l'ancienne. D'abord, aujourd'hui, nous sommes 200 personnes. Bernard Dudot reste le directeur technique, c'est-à-dire l'homme de la coordination. Loïc Bigois est toujours chef de projet et il est particulièrement impliqué sur l'aérodynamique. De nombreux ingénieurs arrivent en renfort. Le plus renommé est John Barnard, avec qui j'ai signé un contrat de trois ans minimum. Il sera consultant pour tout ce qui concerne la technique et il aura la responsabilité de certains projets. De plus, nous ferons appel à sa société anglaise de design et de fabrication, B3 Technologies, pour la conception et la réalisation d'un certain nombre de pièces. Vincent Gaillardot arrive comme directeur d'exploitation à la place de Jacky Eeckelaert qui devient responsable du département "essais". Gilles Alegoet arrive comme ingénieur de piste. Jean-Paul Gousset va renforcer le bureau d'études, auprès de Didier Perrin. Eric Barbaroux, après avoir été responsable de la planification du projet AP02, prend en main les études avancées, c'est-à-dire qu'il devient l'homme des contacts avec des partenaires extérieurs pour anticiper le futur. Globalement, les deux départements "aérodynamique" et "composites" vont donc considérablement s'étoffer.

Vous arrive-t-il de regretter de ne plus être pilote?
Non.

On a envie de connaître le regard d'Alain Prost sur la Fl en général. Comment évolue-t-elle, qu'est-ce qui vous frappe, vous enthousiasme ou vous déçoit?
Il me semble que nous avons, en France, une vision restreinte de ce qu'est la Formule 1. Pour les Anglais, par exemple, notre absence de résultats en 98 n'était pas une surprise, parce qu'ils considèrent la Formule 1 dans le long terme. Ils comprennent parfaitement qu'on ne construit pas une équipe gagnante en une saison. Je souffre de cette vision un peu étriquée que nous avons parfois dans notre pays. Il faut élargir, comprendre que la Formule l est passée de l'artisanat à l'industrie. Elle ne cesse de se professionnaliser toujours plus. Elle devient une guerre de plus en plus impitoyable. Rien que ces deux dernières années, l'évolution a été impressionnante. Il va y avoir, prochainement, des Grands Prix en Chine et aux Etats-Unis. BMW, Honda, Toyota et bientôt un autre grand constructeur arrivent. Pour suivre cette formidable évolution il n'y a qu'une solution: être motivé à 110%, se remettre sans cesse en question et garder en permanence un esprit de commando.

Quels sont, à ce jour, les points forts et les faiblesses de votre entreprise?
Notre équipe, avec maintenant 200 personnes, n'a pas la taille de McLaren qui en a 370, ni même de Williams ou Benetton qui en ont 300, mais elle est équilibrée. Nous avons des gens de valeur et d'expérience dont beaucoup ont souffert ensemble, construit ensemble. S'il faut souligner une faiblesse, c'est celle que j'évoquais précédemment: nous n'avons pas encore assez l'esprit commando, cette motivation suprême qui consiste à chercher sans répit un gain possible dans le moindre détail.

Qu'est-ce qui vous paraît le plus difficile dans votre vie de chef d'entreprise?
Je me consacre totalement à mon travail. Je n'ai donc plus de vie à moi. J'ai l'impression d'avoir tout sacrifié pour mon écurie. Mais je me suis fixé un but et je veux y parvenir.

Vous sentez-vous encore un homme libre?
Non. Pour le redevenir, il me faudra d'abord atteindre le but que je me suis fixé. Mais je ne suis pas dupe, je sais très bien qu'une fois parvenu à ce but, je m'en fixerai un autre, puis un autre... Pourtant, je peux vous assurer que c'est beaucoup plus difficile que je l'imaginais au départ. Mais je préfère mille fois la galère que j'ai vécue l'an dernier à une vie d'oisiveté ou de vacances. Le seul problème, c'est épuisant et je me sens parfois un peu seul. Mais quand ça va marcher, tout deviendra peut être plus facile.

Si vous vous trouviez soudain en face du meilleur chef d'entreprise du monde, quelle question auriez-vous envie de lui poser?
J'ai la chance d'en rencontrer souvent. Ils m'impressionnent tous. Surtout les patrons de petites et moyennes entreprises pour qui tout est beaucoup plus difficile. Je leur dis "chapeau". Quant aux conseils que je peux demander, ce sont toujours des questions relatives à l'organisation, aux méthodes de travail et à la gestion des hommes.

On a envie d'en savoir plus sur l'homme Alain Prost. Quels sont vos rêves?
Je ne vois pas assez mes enfants. J'essaie de compenser par la qualité des rares moments que je peux leur consacrer. De toute façon, avec moi, ils n'ont jamais vécu autrement: j'ai une vie compliquée avec beaucoup de voyages. J'espère qu'un jour je pourrai m'occuper d'eux beaucoup plus. Et aussi faire plus de sport, mon passe-temps préféré. Pour le reste, je n'ai pas de rêve: je veux que mon écurie soit une réussite et je ne vis que pour ça. J'ai connu les galères, les succès, puis des périodes bâtardes où j'étais heureux mais ressentais un manque. On n'est jamais content, mais c'est peut-être ça la vie. Aujourd'hui, en fait, je me sens plus fatigué physiquement que perturbé ou pas heureux.



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