L'AUTOMOBILE MAGAZINE, 01.03.1993

Alain Prost: "Qu'on me fiche la paix avec Mansell et Senna!"


Favori pour un quatrième titre mondial, Prost refuse la thèse d'une victoire toute faite. Le départ de Mansell, les problèmes de McLaren, il ne veut pas les évoquer et pense plutôt aux soucis que les Benetton peuvent lui créer cette saison.

Après une année sabbatique, le triple champion du monde français reprend le départ en Formule 1. L'absence de Mansell, les technologies de pointe, la nouvelle donne: Alain Prost nous donne son avis sur la saison qui vient.

En un an, la F1 a continué d'évoluer techniquement. Dans quel état l'avez-vous retrouvée?
Les comportements ont changé. Au lieu de discuter avec l'ingénieur responsable de votre voiture, vos interlocuteurs se multiplient: il y a un ingénieur pour la suspension, un responsable pour la boîte automatique, un autre pour la télémétrie... Ces dialogues enrichissent la réflexion sur la voiture. Surtout lors des séances d'essais privés. Pour une équipe de pointe qui joue le championnat et prépare l'avenir, la part du pilote lors de ces séances de travail est plus importante qu'avant. Avec ces nouveaux systèmes, il est facile de se louper, d'amener l'équipe sur une mauvaise voie. Pour le reste, essais qualificatifs et course, c'est banal de dire qu'il faut toujours conduire la voiture. Mais c'est vrai. La différence se fera toujours au pilotage. Peut-être même plus qu'avant à cause des possibilités de réglages depuis le cockpit, au fur et à mesure de la course. En fait, on peut régler ce que l'on veut. Le truc qui ne me plaît pas trop, c'est l'antipatinage sur les roues arrière. Il nivelle un peu trop les valeurs des pilotes et des châssis.

La suspension active est-elle la panacée?
Il va y avoir des mauvaises surprises. C'est l'excuse des mauvaises surprises. C'est l'excuse des mauvais que de s'imaginer qu'avec une suspension active, on va corriger les défauts aérodynamiques de la voiture. Le problème sera atténué, pas résolu. Ceux qui installeront un système actif sans connaître leur auto sur le bout des doigts, au plan aérodynamique et mécanique, vont reculer! Ce n'est pas un remède miracle, c'est un paramètre de plus pour être paumé dans les réglages. Une voiture saine à la base, avec une bonne aérodynamique, de bonnes épures de suspension, un bon moteur, un amortissement correct pour une usure uniforme des pneus: tout cela reste valable.

La réduction des pneus en largeur va entraîner plusieurs arrêts, donc une vraie stratégie. Vous adorez cela.
J'espère qu'on ne sera pas à l'agonie à cause des pneus qui ne tiendraient pas en température. En revanche, si certains s'arrêtent trois fois, et d'autres deux fois ou une seule parce qu'il s'agit d'un choix tactique, je trouve cela génial. Ce sera à celui qui va gérer sa course, régler sa voiture en fonction, oser des choix un peu différents dans certains Grand Prix... Quand on gagne de cette façon-là, c'est un vrai plaisir.

Sans la présence de Mansell, voire de Senna, vous ne craignez pas que l'on juge vos victoires trop faciles?
Je ne courais pas, l'année dernière, et je n'ai pas entendu une seule fois quelqu'un dire: "Mansell gagne parce que Prost n'est pas là." Qu'on ne me casse pas les pieds là-dessus, cette année!

Quel sera votre adversaire le plus sérieux?
Benetton. Ils ont beaucoup travaillé depuis le milieu de la saison dernière. Williams aussi a progressé. Mais on ne peut pas non plus gagner deux à trois secondes au tour chaque année! Benetton est parti de plus loin que nous. Grâce à leur apport nouveau en technologie - suspension active, boîte semi-automatique - ils vont se rapprocher.

Comme Senna et Alesi, vous aviez déjà eu l'occasion de courir pour Williams. Vous avez refusé. N'avez-vous pas manqué l'occasion en ne sentant pas venir la future supériorité de Williams?
En 1990, je n'y suis pas allé parce que j'avais envie de voir la voiture d'abord et ce n'était pas possible. Elle n'était pas prête. J'ai eu un peu peur. C'était très difficile de prévoir. On parle de mi-août 1989: si on reprend les résultats de Williams-Renault à cette époque, ce n'était pas excellent. Et en 1990, j'ai failli gagner le championnat avec Ferrari.

Frank Williams vous en a voulu pour ce choix?
Sur le moment, un peu je crois. Il m'a dit: "Je te prouverai que tu as tort."

Quelle impression de courir pour une équipe qui a toujours voulu Senna?
Dans toutes les équipes de F1, on veut Senna et on veut Prost. Je suis très heureux de travailler avec les ingénieurs Patrick Head et Adrian Newey. Comme pour John Barnard, on a envie de côtoyer ces gens-là au moins une fois. Même si elle m'a fait du bien, je n'ai pas choisi mon année sabbatique. Je n'avais pas prévu d'arrêter ma carrière. Mais je n'aurais pas signé ailleurs que chez Williams. Voilà longtemps que je n'avais pas rencontré une telle osmose. On a beau être les plus forts, si l'ambiance n'est pas bonne dans l'équipe, c'est impossible à vivre.

Senna détruit cette ambiance?
Je ne voulais pas revivre ce que j'avais déjà connu, il y a trois ou quatre ans. Je ne suis pas masochiste. Je n'ai rien empêché; j'ai juste dit: "Vous pouvez prendre Senna, mais vous n'aurez pas Prost et Senna." Je serais resté à la maison. Ron Dennis aussi m'avait fait une proposition depuis très longtemps. Mais il a reconnu qu'on ne peut pas nous avoir tous les deux dans la même équipe. Plus personne d'autre n'aurait compté que Senna et moi. Notre duel aurait focalisé l'attention. Il faudrait être malade pour revivre ces moments-là. Cela aurait été très bon pour France-Dimanche; mais mauvais pour tout le monde.

Que pensez-vous des modifications aux règlements que la FISA et Bernie Ecclestone souhaitent imposer?
Une plus forte compétition serait profitable. Mais les modifications des règlements pour 1993, ne sont qu'un artifice pour redonner du spectacle. Si, par exemple, ce projet de lester les Williams d'un poids supplémentaire parce qu'elles vont trop vite, avait été retenu, je pense que Renault n'aurait pas continué. En tous les cas, moi, je rendais l'argent et je faisais autre chose.

Propos recueillis par Stéphane Barbé



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